Victor Levy

Victor Lévy

Victor est né le 9 octobre 1932 à Alexandrie dans une famille aisée. Son père, né lui aussi à Alexandrie, occupait un poste de direction dans une entreprise d’importation de produits chimiques. Sa mère, née en Egypte, appartenait à une famille de rabbins originaire de Jaffa. La famille pratiquait les traditions juives. Victor a fait ses études secondaires au Lycée Juif francophone et faisait partie du mouvement de jeunesse « Héhaloutz ». Quand éclata la Guerre d’Indépendance d’Israël en 1948, le mouvement devint clandestin et un grand nombre de ses membres furent arrêtés. Victor projetait de faire son alliah (immigration en Israël) et de rejoindre les membres du mouvement qui venaient de fonder le Kibboutz Yiron en Haute Galilée. Suite à l’opposition de ses parents il décida de rester en Egypte où il entreprit des études d’agronomie, espérant pouvoir ultérieurement mettre ses connaissances à profit en Israël.

Victor rencontra sa future fiancée, Suzanne Kaufman, aux cours d’hébreu clandestins organisés à l’école juive par les jeunes de la communauté. Suzanne était fille unique de parents d’origine russe, qui prévoyaient s’installer en Israël en 1951. Victor introduisit Suzanne au mouvement de jeunesse « Dror » qui succéda au mouvement « Héhaloutz Hatsaïr » désintégré suite aux persécutions et aux emprisonnements des jeunes juifs lors de la création de l’Etat d’Israël. Ils tombèrent amoureux et décidèrent de se marier dès que Victor aurait terminé ses examens et ferait à son tour son alliah. En réalité, ils ne se marièrent que 17 ans plus tard.

Lors de la création de l’Etat d’Israël, les services de renseignements de l’armée comprenaient une seule unité exécutive, l’unité 131, dont l’objectif était d’accomplir des missions dans les pays arabes en temps de guerre (ce n’est qu’en 1953 que l’on créa une division des renseignements dans l’état-major).

En 1951 le capitaine Abraham Dar, officier dans l’unité des renseignements, fut délégué en Egypte pour recruter des jeunes juifs sionistes qui recueilleraient des renseignements au service de l’unité.  Abraham Dar fit appel à de jeunes activistes sionistes ainsi qu’aux membres du Mossad de l’Alliah Bet pour recruter des jeunes gens qui conviendraient à la tâche. Ovadia Danon, actif dans le Mossad de l’Alliah Bet à Alexandrie recommanda Victor. Ce-dernier rencontra Abraham Dar et apprenant qu’il s’agissait de contribuer à la sécurité de l’Etat d’Israël, il s’empressa d’accepter de s’engager dans le réseau. C’est à regret qu’il se plia à l’ordre de quitter le mouvement de jeunesse qui lui était si cher. Abraham Dar enrôla d’autres jeunes au Caire et à Alexandrie qu’il organisa en deux groupes locaux. Dès lors, Victor et ses copains se comportèrent en jeunes libertins apparemment désintéressés des mouvements de jeunesse et du sionisme.

En septembre 1951, Victor reçut l’annonce qu’il devait partir en Israël pour y subir un entrainement. Ayant fait des études d’agronomie, il s’inscrivit à des cours complémentaires à l’Université de Paris en guise de couverture. Une fois de retour en Egypte, Il était destiné à remplacer Samuel Azar aux commandes de la cellule. Il arriva à Paris en octobre et en décembre il reçut l’autorisation d’entrer en Israël. Il y rencontra Suzanne, sa fiancée, qui apprit avec stupeur que Victor ne projetait pas de rester en Israël. Il lui promit qu’au bout de deux ans de fonction comme responsable de l’alliah en Egypte (son prétexte officiel), il reviendrait en Israël et l’épouserait. Après quelques mois d’entrainement, il regagne Paris, puis l’Egypte. Durant son entrainement en Israël, Victor fait la connaissance du Dr Moshé Marzouk, commandant de la cellule du Caire. Ils se lient d’amitié et se rendent souvent ensemble chez Susanne.

L’entrainement terminé, le commandant de l’Unité 131 parle à Victor, insistant sur le fait qu’il s’agissait d’une mission dangereuse et qu’il pouvait encore décider de ne pas retourner en Egypte. Mais Victor répond qu’il s’est porté volontaire et n’a pas l’intention de se désister.

La décision du gouvernement britannique en 1954 de retirer ses troupes d’Egypte suscite de lourdes craintes en Israël. Quelqu’un dans les Services de Renseignements israéliens suggère de saboter des installations britanniques et américaines en Egypte, dans l’espoir que les Britanniques reconsidèrent leur décision.                      Avri Elad, officier de l’Unité 131 est envoyé à Alexandrie avec mission d’y commander la cellule. La cellule du Caire était demeurée inactive depuis la démission de son commandant, le Dr Moshé Marzouk, quelques mois auparavant. Il n’avait pas été remplacé.

Victor, déjà aux commandes de la cellule à l’époque, avait participé à deux attentats qui avaient occasionné des incendies sans causer de victime. Le troisième attentat était prévu pour le 23 juillet, l’anniversaire du putsch des officiers, et visait des cinémas au Caire et à Alexandrie. La charge explosa plus tôt que prévu, dans la poche de Philippe Nathanson sur les marches du cinéma « Rio » à Alexandrie et il fut arrêté aussitôt. Victor, qui était avec lui, réussit à s’esquiver et atteignit l’appartement cachette à temps pour éliminer tous objets suspects (tout objet suspect). Il fut néanmoins arrêté en rentrant chez lui. En quelques jours, on arrêta tous les membres des deux cellules qui furent traduits en justice. Seul, leur commandant Avri Elad ne fut pas arrêté. Il s’avéra ultérieurement qu’il avait trahi ses subordonnés et les avait livrés aux autorités égyptiennes.

Les membres des cellules subirent de cruels interrogatoires. On les soumit à un procès public dont l’issue fut tragique. Le Dr Moshé Marzouk et l’ingénieur Samuel Azar furent condamnés à la pendaison, Philippe Nathanson et Victor Lévy à la prison à vie, Robert Dassa à 15 ans de prison, Mayer Meyohas et Mayer Zafran à 7 ans de prison. Elie Naïm et César Cohen furent acquittés. Tous les prisonniers masculins furent condamnés aux travaux forcés.

Les conditions d’incarcération étaient rudes, particulièrement au début lorsqu’ils étaient obligés de s’adapter aux travaux forcés dans une carrière. Détenus ensemble, ils s’encourageaient mutuellement. Après la période de travaux forcés, leurs conditions s’améliorèrent quelque peu. Un jour, le commandant de la prison désira embellir l’aspect du terrain autour des bâtiments en vue de la visite de personnalités officielles. Sachant que Victor était agronome, il le nomma jardinier de la prison de Toura. Victor créa un jardin et même un potager, faisant appel à l’aide de ses parents pour obtenir des semences. Chaque semaine il amenait un bouquet de fleurs dans la cellule et remontait ainsi le moral des prisonniers.

En même temps, il se lia d’amitié avec un nouveau commandant redouté par la plupart des prisonniers pour son fanatisme religieux et sa cruauté. Cet officier avait une telle confiance en Victor, que lorsqu’il jugeait des prisonniers et leur infligeait des pénitences corporelles, il demandait à Victor de témoigner en sa faveur en justifiant les sentences. Ainsi Victor parvenait occasionnellement à adoucir les peines des prisonniers. Il gagna son prestige dans la prison non seulement grâce au jardinage, mais aussi parce qu’il entreprit un élevage de canards, installa une couveuse pour les poussins et demanda à la cuisine de moudre les restants pour nourrir la volaille. L’élevage s’agrandit et le commandant de la prison le présentait avec fierté aux visiteurs de marque ainsi qu’aux commandants d’autres prisons. Tous venaient apprendre sur place comment « transformer des déchets en viande ». L’élevage situé à proximité de l’enceinte de la prison permettait à Victor de circuler plus ou moins librement sur le terrain et il commença à fomenter un projet d’évasion avec ses camarades. Ils étaient constamment aux aguets, craignant heurts, dénonciations ou fouilles mais d’autre part leur participation à la vie de la prison rehaussait leur statut. Victor jouissait même de la considération particulière d’un des commandants de la prison (durant les dernières années de détention) si bien que les gardiens lui faisaient appel (à lui) pour plaider en leur faveur auprès de ce commandant.

L’espion israélien Wolfgang Lutz qui était incarcéré avec eux durant les deux dernières années, a écrit dans son livre « Mission au Caire » que Victor Lévy jouissait d’un statut spécial en vertu de son charisme et faisait office de leader parmi les prisonniers. Il jouissait tant du respect des gardiens que des détenus.

Victor Lévy, Robert Dassa, Marcelle Ninio et Philippe Nathanson furent libérés en février 1968 lors d’un échange de prisonniers entre Israël et l’Egypte après la Guerre des Six Jours. Après son retour en Israël, Victor reçut le grade de major dans l’Unité des Services de Renseignements et fut promu ultérieurement lieutenant-colonel.

Il retrouva Suzanne, son amour de jeunesse, ils se marièrent et donnèrent naissance à deux filles.

En 1976 le journaliste Aviézer Golan publia son livre « Opération Suzanne » dans lequel il raconte leur histoire.

De retour en Israël, Victor compléta ses études et termina sa maitrise à la faculté d’agronomie de l’Université Hébraïque. Il a travaillé dans diverses compagnies telles que « Teva » et « Industries Chimiques d’Israël ».

Grâce à ses qualifications professionnelles et ses connaissances multilingues, il fut envoyé plusieurs fois à l’étranger pour fonder et diriger des affiliations dans divers pays. En 1980 la compagnie « Teva » l’envoya au Kenya pour y créer une affiliation. Il y séjourna quatre ans avec sa femme et ses deux filles, Talia et Liora. Plus tard la compagnie « Brome Industries Chimiques d’Israël » l’envoya au Brésil puis en Hollande où il séjourna sept ans.

Victor Lévy est décédé en août 2003. Son ami Robert Dassa prononça ces paroles sur sa tombe : « Grâce à son optimisme nous sommes restés sains d’esprit ». Marcelle Ninio-Boger fit remarquer qu’il ne trahissait jamais la moindre amertume. Le journaliste David Zohar du journal Maariv cita Victor : « Je n’attends pas de récompense pour ce que j’ai fait ni pour les longues années de prison. J’ai toujours agi en connaissance de cause, mû par mon dévouement au sionisme et au bien de l’Etat d’Israël. Le fait d’être ici présent aujourd’hui est la plus belle récompense de mes actes ».

Références :

Aviézer Golan, « Opération Suzanne » : Histoire complète des condamnés de « l’Affaire », Jérusalem 1976

Zohar David, Maariv, 14-11-1971

Ouri Dromi, Haaretz, 11-9-2003

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