Oraisons funèbres

Marcelle Ninio-Boger


Oraison funèbre – Robert Dassa

Je veux vous parler de Marcelle que j’ai connue comme personne d’autre ne l’a connue.
Marcelle a grandi au Caire, jeune fille jolie et intelligente avec un avenir prometteur. Elle accepta l’offre du délégué de l’Etat d’Israël qui lui demandait de s’engager dans des activités dangereuses au profit de celui-ci, et Marcelle était consciente de la responsabilité et des risques que cela comportait.
Qu’est-ce qui l’avait donc poussée à agir pour un pays éloigné qu’elle n’avait jamais visité, où elle n’avait ni famille ni connaissances ?
Réponse : le sionisme et l’amour de la patrie. En tant que jeunes Juifs sionistes en Egypte et durant toute notre jeunesse, Israël n’a cessé d’occuper le sommet de nos aspirations.
Ma première rencontre avec Marcelle eut lieu au tribunal. Je vis une jeune fille de caractère fort qui conservait sa dignité si caractéristique, comme on peut le remarquer sur les rares photos du procès. Le juge Digwi, président du tribunal égyptien, en s’adressant à d’autres détenus musulmans, leur conseilla de suivre l’exemple de la jeune personne qui les avait précédés.
Durant les années pénibles en prison, nous songions à Marcelle et échangions des pensées réconfortantes à distance. Nos liens se sont tramés et particulièrement consolidés pendant notre incarcération. Nous savions combien la situation d’une jeune fille isolée et entourée d’ennemis était éprouvante. Nous déployions des efforts pour garder contact. Marcelle trouvait des moyens originaux pour nous conyacter – une fois elle boucha l’égout pour faire venir un plombier à l’aide duquel elle nous fit parvenir une lettre. Elle nous tricota aussi des pulls, des écharpes et des chaussettes que je conserve jusqu’à ce jour. Je lui envoyais des cartes avec des dessins et des décalcomanies à chaque anniversaire. Il n’était pas facile d’obtenir ces objets en prison, mais cela nous encourageait et nous aidait à tenir le coup. Marcelle était la seule femme dans notre réseau. Je vous ai laissé entendre combien sa situation était ardue et on ne peut qu’imaginer ce qu’elle a pu endurer. Chacun reconnut en elle une femme imposante et courageuse, de caractère déterminé, une femme sensible et douce, qui portait toujours la tête haute. Quand on nous libéra, on demanda à Marcelle quel était son premier souhait – prendre un bain mousseux a-t-elle répondu. A la même question, moi j’ai demandé à boire dans un gobelet en verre.
Je ne m’étendrai pas ici sur l’échec de ‘l’Affaire’, ni sur la question de qui donna les ordres ou sur la prise en charge trop tardive de notre libération. Marcelle a décidé de reconstruire et de poursuivre sa vie. Elle a épousé Eli et donné un sens nouveau à son existence. C’était une femme cultivée à l’esprit ouvert, qui aimait l’art et les livres, mais sa blessure profonde ne s’est jamais complètement cicatrisée.
Un destin commun nous a gardé unis par des liens exceptionnels qui se sont raffermis d’année en année et que nul autre ne pourrait réellement comprendre. Elle était une part indivisible de ma personne, elle était pour moi une sœur et tante Lili pour mes enfants. Et si certains pensent que Marcelle n’avait pas de faiblesses, ils ne connaissaient pas son amour pour la ‘mélouhiya’ (plat égyptien typique) que nous avions l’habitude de manger ensemble. Elle était une partie de moi-même, après Victor et Philippe, mes enfants.
J’ai une prière à adresser, au nom de Marcelle et du mien également, peut-être une sorte de testament – Je demande que quelqu’un se charge de ce projet et que l’Etat veille à ce que notre histoire soit enseignée officiellement, tout particulièrement aux jeunes générations. Qu’elle ne tombe jamais dans l’oubli. Je pense que cela ferait plaisir à Marcelle.
Repose en paix Marcelle, tu nous manqueras énormément. Nous t’aimons beaucoup.

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